Un voyage consacré à l’Afrique et à l’habitat

Chaude reprise

Chaude reprise

Du 3 avril au 3 mai, entre St Louis et Tambacounda.

Le départ de St Louis n’a pas été simple. J’étais impatient de reprendre le voyage mais aussi inquiet. Stressé à propos de Marcel qui commencait à montrer des signes de faiblesse. Préoccupé des adieux à tous ces gens que j’allais laisser. Puis douteux sur ma capacité à mener la barque dans cette région qui s’annonçait difficile. D’autant plus que je subissais une sorte de malédiction locale. À chaque fois que je posais une date de départ, elle était systématiquement reporté à plus tard. À tel point que j’ai finis par ne plus me prononcer par superstition, et de garder secret l’ultime date. C’est mon ami Paco qui m’apprend ce dicton saint lousien avant que je ne le quitte pour de bon : « La ville n’aime pas qu’on lui dise au-revoir ». Et le 12 avril j’arrive enfin à trouver le courage nécessaire pour renfourcher Marcel et me relancer corps et âme dans l’aventure.

Départ de St Louis

Je bénéficie sur les premiers jours de l’hospitalité de mon coloc Poudi et de sa famille aux alentours de Richard Toll. Qu’il est agréable de rencontrer des nouvelles personnes et se retrouver dans des foyers si chaleureux. Observer une famille entière cuisiner dans la cours, apprendre le pulaar avec les jeunes, réparer le vélo endommagé d’un tout petit, etc. Ces moments m’avaient manqué. Qu’il est bon aussi de retrouver la route. L’appartenance à cette route. Car c’est finalement là que se trouve ma zone de confort durant tous ces mois, sur cette selle. C’est ici que je suis le plus en confiance. En mouvement, attentif à mon effort, attentionné à mon itinéraire, plongé dans mes pensées. Et ces sensations ! Comment décrire l’imposante chaleur, le soleil qui tape, l’odeur dans l’air, le bruit du vent, mes mains sur le guidon vibrant, et la route qui roule sous mes roues. Mes inquiétudes se sont vite envolées.

Je remonte le fleuve Sénégal. C’est ainsi que je me retrouve à Podor, un petit Saint Louis rural. Je rencontre notamment Amagoia et Vicky, des Espagnols travaillant dans la coopération. Vicky m’héberge plusieurs nuits le temps que j’organise ma prochaine expédition dans un village voisin. Ngawlé est un village de pêcheurs relativement enclavé où je passe 24 intenses heures. J’ai l’impression d’y être resté 3 jours tant c’était riche d’apprentissage et de moments partagés. C’est surtout l’occasion de découvrir ce qu’est la vie en bord de fleuve. J’ai écrit un reportage à ce sujet si vous voulez en savoir plus.

Par la suite, je continue mon périple sur les pistes de l’île à Morfil et débarque à Ndioum. C’est à partir d’ici que je rentre dans une nouvelle phase. La végétation se raréfie, les villages ont de moins en moins d’infrastructures, et surtout les températures augmentent : 45° quotidiennement. Il me faut rouler le matin et le soir pour éviter les heures les plus chaudes. Il faut aussi dire que j’ai repris en pleine période de ramadan. Ce qui veut dire qu’entre 5h30 du matin et 19h30 il est quasiment impossible de trouver à manger. D’autant plus que mon réchaud a décidé de me compliquer la tâche en tombant en panne pour toute cette période… Je suis alors très vigilant à mon hydratation et a avoir de quoi me nourrir en permanence.

Le Fouta est aussi la région où j’ai enfin l’occasion de découvrir la construction en terre. Je peux compter sur des ONG qui me mettent en contact avec des acteurs locaux. Mes journées sont rythmées par des visites de chantier et des discussions avec des maçons. Ces chantiers me passionnent. La terre est l’unique matériau, du sol au plafond. Un reportage est également consultable à ce propos.

Chantier d’Ouro Maley

C’est dans ces conditions ardues de grandes chaleurs, non loin de la frontière avec le Mali, que le moral commence à baisser. Je repère de mieux en mieux mes propres mécanismes comportementaux. Je sais par exemple que lorsque je deviens irritable aux multiples demandes d’argent, ou aux « toubab » lancés frontalement, c’est que je me renferme sur moi et qu’une phase basse commence dès lors. Moins je vais bien plus je suis solitaire, mieux je vais plus je suis solidaire. Cela se concrétise par des nuits en auberge ou seul en brousse. Mais j’apprends aussi de plus en plus à gérer ces phases inévitables et nécessaires. Je relativise et prends soin de moi. Puis quelques jours passent et je retrouve l’envie d’aller vers les autres. Je retourne chez l’habitant et un nouveau cycle positif commence alors.

Il faut dire que ce mois-ci j’ai une grande motivation pour avancer. Je vais retrouver ma famille en Casamance, la région sud du Sénégal. Nous allons prendre quelques jours de vacances ensemble. Et la seule idée d’être bientôt avec eux me donne énormément de force. C’est comme ça que le 2 mai je parcours 151 kilomètres dans la journée. Je rallie Tambacounda dans la soirée après 7 heures 30 de selle. J’avance bien. Mais est ce que j’arriverai dans les temps pour les réceptionner comme promis ? La suite au prochain épisode.

Bakel
Mise à jour saint-lousienne

Mise à jour saint-lousienne

Mise à jour saint-lousienne

Du 3 janvier au 3 avril

Du 15 au 21 novembre – Entre Rabat et Casablanca

Guerguerat avec Baudouin

Cependant cette solitude a été de courte durée puisque dès Dakhla je fais la connaissance de Baudouin. Il est parti de Belgique et se rend à Dakar au Sénégal ; ses deux nations de cœur. Il voyage à vélo, est fraîchement diplômé d’architecture, et nous avons le même âge. J’ai beaucoup plus de points communs avec Baudouin qu’avec Mohamed. Et c’est donc sans surprise qu’une amitié est née là aussi. Nous avons donc choisi de faire un bout de chemin ensemble, et avons vécu de belles choses. Je garderais en mémoire nos campements dans le désert ou sur la côte atlantique, ces musiques qu’on aime, ces dessins qu’il esquisse en un rien de temps.

 

Chez Brahim et Aziz

Mais plus la pause est longue et plus la reprise est difficile. Et celle-ci a été particulièrement dure. Des journées où il faut se faire violence pour se lever, pour avancer, pour cuisiner. Les jambes absentes, le mental en berne. Et l’environnement ne nous aidait pas. Le Sahara mauritanien était plus rude encore que le Sahara marocain. Plus de sable et plus de mouche. Heureusement que nous pouvions compter l’un sur l’autre. Mais avancer dans ces conditions n’est pas sans conséquences. C’est sûrement en puisant dans nos ressources que nous nous sommes exposés à la maladie la veille de notre arrivée à Nouakchott.

Des œufs pas frais ou un peu sales pour une simple omelette

Des œufs pas frais ou un peu sales pour une simple omelette, et le voyage prend une toute autre tournure. C’est dire l’exigence de ce genre de périple. Nous subissons tous les deux une intoxication alimentaire. Et les 80 kilomètres qui nous séparent de la capitale sont alors plus ardus que toutes ces dernières journées réunies. Je lutte sur la selle, alternant entre la douleur et la somnolence. Sur les derniers kilomètres je jure même sur tout ce qui bouge. J’ai élu cette journée la plus difficile du voyage en arrivant rincé le soir à l’auberge. Mais j’étais loin du compte. Pour Baudouin l’épisode intestinal était réglé en quelques heures. Pour ma part, ce fut une autre affaire. Le début de longues semaines d’errance physique.

Nouakchott

Après quelques moments bien agréables dans la vie d’expatriés de Nouakchott, et du repos à l’auberge Ntajat, je reprends la route seul toujours en direction du sud. Seulement je peine plus que d’habitude à avancer. C’est encore dans la difficulté que je rejoins le Sénégal. Mon corps ne s’est pas débarrassé du mal, et je sous estime largement l’ampleur du problème. Arrivé à Saint Louis, le lendemain du passage frontalier, je peux enfin souffler. Les sourires sénégalais me redonne le moral et le centre ville touristique m’offre du confort que je n’attendais plus. Ces bonnes conditions me font relâcher la pression et sûrement mes dernières défenses par la même occasion.

C’est alors que je passe non pas la journée la plus dure, mais bien la semaine entière la plus difficile jusqu’à lors. Je souffre de maux de ventre aiguës qui me tordent dans tous les sens, cloué au lit. Et ces vagues de douleurs apparaissent surtout la nuit m’empêchant en plus de dormir. Au bout de quelques jours je suis exténué comme jamais je ne l’ai été. Je finis par me retrouver dans les centres de santé de l’île en urgence, au bout du rouleau. Quelques améliorations mais impossible de poser un diagnostic précis. Je prends conscience de ma négligence et décide de reprendre le contrôle et me soigner comme il se doit.

MA SOEUR COLINE

Cela tombe bien, ma sœur Coline arrive tout juste à Dakar. Je la rejoins en bus pour passer du bon temps ; de la pirogue dans les mangroves du Saloum, au surf sur les plages dakaroises. Après cinq jours collé à elle, je passe les cinq suivants assigné dans une clinique privée. Le verdict tombe : une bactérie intestinale avec déshydratation, suivie d’une thrombophlébite, et un petit syndrome jonctionnel au rein en prime. Le compte est bon. Ça aura pris du temps et de l’argent, mais je suis enfin remis sur pied. Il est temps de retourner à St Louis pour retrouver Marcel là où je l’avais laissé, bien gardé chez mon ami Paco (cf. Reportage 4).

Julien, Poudi et élodie

Alors le coup de grâce de ce passage à vide tombe ; j’apprends le décès d’un membre de ma famille. Ma tendre mamie nous a quittés. Pas facile de digérer la nouvelle éloigné des miens, si loin de ma terre natale. Heureusement j’étais bien entouré à ce moment. J’ai pu compter sur Élodie, une architecte belge rencontrée précédemment à la capitale, et mon ami de voyage Julien que j’ai retrouvé avec surprise dans les ruelles saint-louisiennes. Leur affection et leurs bonnes paroles me permettent de faire le deuil. Je choisis alors volontairement de rester encore un peu à St Louis pour profiter de ce doux cadre.

Quelques semaines s’écoulent encore. Une après midi écriture au café Ndar Ndar, une conversation de trottoir près du spot à beignets de 18h, un verre à l’Embuscade, un concert à l’Institut Français, une méditation en bord de fleuve, une visite chez Paco à HLM, un repas dans sa famille dans les quartiers de Pikine. Voilà par quoi est rythmé mon quotidien. Je vis en colocation avec mes deux amis dans une spacieuse maison du centre ville. La cuisine équipée et le balcon fleuri en font un merveilleux endroit pour retrouver de précieux repères et se recentrer. Les habitudes refont surface et les liens se tissent. Je me sens véritablement bien ici, heureux.

Mais je ne peux rester indéfiniment. La route m’appelle et le voyage doit reprendre.

Tout d’abord subite et ensuite acceptée, cette longue interruption de deux mois m’a déjà permis de faire le point sur de nombreuses choses en ce premier tiers de voyage. Puis j’ai vécu tant d’événements forts qui m’ont procuré de la peine, de la souffrance, mais aussi de la joie et de l’amour. Finalement, trois mois intenses en émotions qui m’ont fait énormément grandir je crois.

Il est maintenant temps de plier bagages et de retrouver un vieil ami que j’ai quelque peu délaissé ces temps-ci : Marcel. –

PS : ces récits seront dorénavant mensuels, et non plus hebdomadaires comme auparavant.

 

Shukran khouya

Shukran khouya

Shukran khouya

Du 27 décembre au 2 janvier, entre Tarfaya et Boujdour.

Guerguerat avec Baudouin

Cette semaine commence à Tarfaya, en face de l’avion taille réduite d’Antoine de Saint-Exupéry. Cet écrivain-voyageur m’inspire. La légende dit que c’est ici que le Petit Prince est né, d’une simple volonté de conter le monde.

Lundi, dans le plus grand parc éolien marocains, les langues se délient avec mon compagnon de route. On parle culture et religion. On en vient vite à évoquer ce qui nous différencie dans nos croyances respectives. Ce que l’on doit faire ou ne peux pas faire. Nos différentes visions du monde. Mais c’est précisément cette disparité qui m’intéresse. J’aime comprendre comment chaque personne pense. Ces réflexions me remplissent d’un peu plus d’humanité.

Comme dans ce hall d’hôtel à Boujdour en fin de semaine, où je passe la soirée entre un voyageur allemand athée et un serveur de café musulman. Je me place alors en trait d’union entre ce scientifique convaincu et ce fervent religieux. C’est une position que j’affectionne particulièrement. Je traduis, reformule, questionne, pour chercher le compromis dans ce débat sans fin. Les deux protagonistes qui désirent avoir le dernier mot, arrivent à se mettre d’accord sur certains points (égalité entre les Hommes), quand d’autres sont radicalement clivants (homosexualité, place de la femme). Plus largement, j’ai la conviction qu’ils tiennent tous deux une part de la Vérité.

Mohamed

Mardi, on arrive dans la très militarisée ville de Laâyoune. C’est l’occasion de se refaire une santé au hammam, de refaire les stocks au souk, de partager un couscous avec un nouvel ami, et d’arpenter nos premières dunes. Tous ces instants de vie marocaine renforcent au fur et à mesure notre relation avec Mohamed. Même si certaines de ses opinions me rebutent, j’apprécie son authenticité. C’est avant tout mon ami.

Ce même ami qui commence à se démoraliser quand il nous faut quitter Laâyoune. Une soupe harira avec quelques remotivations suffisent cependant à remettre en selle mon équipier. Le 31 décembre, nous arrivons à Lamsid. Nous choisissons un petit café-restaurant à la sortie du village, plutôt que la station service flambant neuve. L’ambiance est détendue et à la rigolade. Le tenancier nous autorise à dormir dans une petite pièce attenante. Mohamed va se coucher à 23 heures et je passe donc seul le nouvel an sur mon tabouret au milieu du désert.

Mosquée de Tarouma

Le lendemain on aperçoit depuis la route des hommes courant après des dromadaires. On décide de tenter notre chance pour le précieux breuvage que Mohamed cherche depuis plusieurs jours. Finalement on passe un long moment avec ces négociants. On joue aux cartes, discute, et on goûte le fameux lait de dromadaire. C’est une des choses qui fait du Maroc une terre chaleureuse. La fraternité entre les hommes est ici réelle et tangible. L’entraide est innée ; on s’arrête automatiquement donner un coup de main pour une crevaison d’automobiliste. La générosité permanente ; on nous tend des bouteilles d’eau au bord des routes. Cette fraternité qui est en France plus présente dans le discours que dans les faits.

Une parenthèse hors du temps avant de se retrouver à Boujdour où nous passerons le week-end. Déjà on prend de la distance avec Mohamed. Il passe un peu de temps avec sa famille tandis que je cherche un hôtel pour les prochains jours. Boujdour sera l’endroit où nos chemins se sépareront puisqu’il doit rentrer chez lui vers Agadir.

benjamin

On rencontre Benjamin, un voyageur allemand qui m’évitera un brusque retour à la solitude la semaine suivante. On passe quelques instants agréables tous les trois dans cette ville de pêcheurs et de passeurs.

Vient le moment des adieux dimanche soir à la gare routière. On démonte ses roues, on emballe son vélo à la va-vite, et échangeons quelques derniers présents à la lueur des éclairages du bus. Je découvre alors avec étonnement le sensible Mohamed ému de ces aurevoirs. Je réalise soudainement l’expérience qu’a été ces dix jours passés ensemble. Malgré nos faibles différends et opinions contraires, une réelle amitié est née autour du vélo et du voyage. On se quitte après plusieurs accolades et quelques promesses. Et “Shukran khouya” (Merci mon frère).

Boujdour

Qu’importe nos origines et nos croyances, nous sommes égaux dans l’épreuve qu’est la vie. Et tout ce qui nous différencie ne devrait pas nous monter les uns contre les autres, mais plutôt nous rassembler et nous renforcer par la complémentarité de notre altérité. Et je vous laisse avec ces belles paroles de St-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. » 

Désert accompagné

Désert accompagné

Désert accompagné

Du 20 au 26 décembre, entre Guelmim et Tarfaya.

Il est temps de quitter Guelmim. Cette interminable coupure commençait à me peser. Une seule solution face à ça : avancer. Les premiers kilomètres dans le désert sont un peu déstabilisants. L’agitation étroite de la ville qui laisse soudainement place à l’immensité du désert me propulse dans un nouveau monde. Néanmoins ces étendues sont loin d’être calmes. De grands travaux y ont lieu pour la construction d’une nouvelle route. Des camions. La poussière. Des engins. Le bruit. Est ce tout ce capharnaüm qui ont rendu fou cet homme que j’aperçois depuis la route. Il a une longue chevelure et une barbe négligée. Debout au milieu de nulle part, il se tient les bras et tourne sur place d’est en ouest. Il a sûrement perdu le nord.

Le sentiment qui prédomine vite sur ces longues routes est la solitude. Sans bâtiment dans lequel s’arrêter, sans passant avec qui discuter, sans point d’ancrage visuel, sans repères. Ce n’est pas pour me déplaire cependant. C’est une des choses que j’avais à cœur d’expérimenter. Mais il se trouve que je n’ai pas été seul bien longtemps puisque je trouve deux voyageurs à Tan-Tan. Thomas, que j’ai rencontré à Guelmim, et Mohamed ; un cycliste marocain qui se rend à Boujdour. Il m’a pisté depuis la grande mosquée de Tinmel il y de ça vingt jours. Sans même nous concerter, nous prenons la route tous les deux. Le soir même on campe avec Thomas au camping Atlantique d’El Outia, gracieusement payé par un capitaine de la gendarmerie royale. Nous siégeons tous les trois en shesh (turban) au milieu de la place du camping tout aussi désertique.

Ce désert est un tout nouvel environnement qui me force à revoir tous mes acquis : l’accès à l’eau, la nourriture, l’hébergement, la toilette. Heureusement je peux compter sur mon nouveau compagnon de route. Mohamed parle arabe, il connaît les codes du pays, il est bon cuisinier, et il est riche de “pratiques”, comme il dit. Ces astuces de voyage qui font gagner du temps ou des ressources. Comme par exemple faire la vaisselle immédiatement après le repas. La graisse du tajine n’a alors pas le temps de refroidir et le nettoyage des ustensiles de cuisine n’ est que plus facile. Ainsi sa présence est appréciable pour apprivoiser ce désert.

Noël arrive sans que je m’en rende compte. Ce vendredi 24 décembre se fait dans une station service autour d’une casserole de pâtes au thon. Un soir comme les autres. J’ai tout de même ma précieuse famille en visio pour me réconforter. J’aimerais être avec eux et saisir un de ces toasts au foie gras que j’entrevois, mais il n’en n’est rien. J’aurais tout de même une gamella de chameau le lendemain en guise de repas de fête, dans le plaisant parc national de Khenifiss. Pour le cadeau ça sera un persistant rhume causé par les embruns humides et iodées du bord de mer.

Mais il y a aussi des contreparties à avoir un acolyte marocain. Je m’explique. Après les tristes événements qui ont eu lieu à Imlil en 2018, le Maroc fait tout pour garantir la sécurité de ses touristes. Et dans le même temps éviter tout nouvel incident qui aurait de mauvaises répercussions sur le tourisme. Par conséquent, accompagner un voyageur comme moi dans cette région n’est pas anodin. Mohamed est constamment questionné sur mon état, et on lui rappelle sans cesse de me fournir tout ce dont j’ai besoin (eau, vivres, argent). Ce qui engendre une certaine surprotection de sa part. “Attention !” qu’il me dit avec un air paternaliste. Je conçois qu’il soit responsable de moi mais cette vigilance est oppressante, et même infantilisante par moment. Loin de la grande liberté et autonomie que je chérie tant.

On arrive à Tarfaya dimanche après une longue journée de pédalage sous le soleil. Mais cette journée est surtout marquée par la rencontre avec deux femmes ivoiriennes en mauvaise posture le long de la route. Abritées à l’ombre d’un immense panneau, elles cherchent à rejoindre Laayoune sans que personne ne s’arrête pour les prendre en voiture. Nous ne comprenons pas bien comment elles se sont retrouvées là, mais on peut voir que la situation est grave. L’une d’entre elles gémit allongés sur les cailloux. Elle nous dit qu’elle est enceinte… On les quitte après leur avoir apporté toute l’aide que nous pouvions. Je suis très sensible à leur sort et je ne peux m’enlever cette idée de la tête de la journée. Comment peut-on être si aimable et vigilant à mon sujet, et aussi indifférent à l’égard de ces femmes dont la vie est en péril ? Cette différence de traitement m’attriste profondément. –

Transition

Transition

Transition

Du 13 au 19 décembre, entre Tiznit et Guelmin.

Reportage bouclé

La semaine commence donc à Tiznit où je passe une ultime nuit. C’est l’occasion d’avancer sur le reportage sur lequel je travaille depuis Nador. Ce reportage traite du salon marocain. J’ai accumulé beaucoup d’informations durant ces deux premiers mois. L’enjeu a été de synthétiser toutes ces expériences chez l’habitant afin de donner une bonne idée de l’hospitalité marocaine. Mon partenaire Leroy Merlin Source m’accompagne dans la production éditoriale et la mise en forme. Le reportage sortira début janvier.  

Cette semaine est celle de la transition entre le Maroc et le Sahara Occidental. Ou pour certains, entre le nord et le sud du Maroc. En effet, le Sahara est revendiqué à la fois par le Royaume du Maroc et par la République Arabe Sahraouie Démocratique, proclamée par le Front Polisario. Ce conflit ensable le pays depuis le départ des Espagnols en 1976. Quoi qu’il en soit ce changement demande des préparatifs. En plus du bouclage  du reportage je dois aussi préparer la traversée du désert : photocopie des papiers nécessaires, amélioration et entretien de Marcel, ajustement des bagages, etc. 

Aglou, legzira…

Je longe donc doucement la côte par Aglou, Mirleft, Legzira, et Sidi Ifni. Ce front de mer a des ressemblances avec la Bretagne et pour cause j’y croise de nombreux français. Ils sont venus s’installer ici pour le calme et la beauté du lieu. Il y a Léo ; un jeune artiste photographe-plasticien, Anne ; une morbihannaise en reconversion, André ; un aimable retraité anti-vax, ou encore Jean-Pierre qui a construit sa maison juste devant la mer et qui parcourt le désert en 4×4. 

Guelmim

J’atterris ainsi à Guelmim ; les portes du désert. On me dit qu’après cette ville tout change et cela me rend un peu anxieux étrangement. J’ai tant attendu ce territoire mythique, mais maintenant je le redoute. Je fais donc escale pour quelques jours dans cette petite ville qui sent bon le désert. Imaginez le bruit et l’odeur du souk en pleine rue avec les étales de fruits et légumes, les pièces de viande pendues, les dizaines de sacs remplis d’épices, d’herbes, de graines, etc. Et ça tombe bien puisque je compense cette petite appréhension par la nourriture. 

repas classique

Pour moi, la gestion de l’alimentation est primordiale pour cette traversée. Autant l’eau est plus importante, mais elle est aussi relativement plus facile à trouver. Je fais donc le plein de vivres en prenant soin de choisir les produits les plus riches en termes d’énergie, et les plus simples à cuisiner. Lentilles, kakis, maquereaux, conserves, etc. En résulte un vélo encore plus lourd et pénible à traîner. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les portes du désert

On rencontre Benjamin, un voyageur allemand qui m’évitera un brusque retour à la solitude la semaine suivante. On passe quelques instants agréables tous les trois dans cette ville de pêcheurs et de passeurs.

Vient le moment des adieux dimanche soir à la gare routière. On démonte ses roues, on emballe son vélo à la va-vite, et échangeons quelques derniers présents à la lueur des éclairages du bus. Je découvre alors avec étonnement le sensible Mohamed ému de ces aurevoirs. Je réalise soudainement l’expérience qu’a été ces dix jours passés ensemble. Malgré nos faibles différends et opinions contraires, une réelle amitié est née autour du vélo et du voyage. On se quitte après plusieurs accolades et quelques promesses. Et “Shukran khouya” (Merci mon frère).

Dimanche dans le petit hall de l’hôtel où j’héberge, je croise Thomas. Au premier abord je le prend pour un marocain avec sa longue djellaba et son parlé arabe. Mais Thomas vient de Nantes et va aussi vers le sud en sac à dos. Il marche et fait de l’auto-stop. Thomas est beaucoup plus intégré à la culture marocaine que moi. On échange sur nos expériences respectives et partage de précieux conseils. On sera amené à se recroiser durant les prochains jours. –